Face au problème des pénuries récurrentes, l’industrie pharmaceutique met en avant six axes d’amélioration pour sécuriser la chaîne du médicament jusqu’au dernier kilomètre. Avec un objectif pour l’ensemble des acteurs : réduire les ruptures d’approvisionnement des médicaments les plus indispensables aux patients.
Avec la complexification de la chaîne du médicament, le phénomène des pénuries a pris une ampleur considérable, passant de 44 signalements de tension ou ruptures d’approvisionnement en 2008, à 404 en 2013, et 538 en 2017, pour les médicaments dits « d’intérêt thérapeutique majeur » (MITM). C’est à dire ceux dont l’indisponibilité peut mettre en jeu la vie des patients, à court ou moyen terme, ou réduit leurs chances de survie ou guérison.
Le nouveau plan d’action en 6 axes des entreprises du médicament (Leem), le syndicat professionnel réunissant les industriels de la pharmacie de l’Hexagone, vient compléter le dispositif actuel pour tenter de mieux prévenir et gérer les pénuries de médicaments.
Axe 1 : Sécuriser les médicaments « les plus indispensables »
Dans une démarche pragmatique, le Leem propose de se recentrer sur le cœur des MITM, ce qu’il appelle les « médicaments d’intérêt sanitaire et stratégique » (MISS), dont l’indisponibilité entraine un risque vital immédiat, en l’absence d’alternative thérapeutique. Les MISS, qui concernent 5 à 10% de la Pharmacopée, doivent faire l’objet d’une sécurisation renforcée : stocks de sécurité mobilisables en France ou en Europe, partage plus précoce des informations sur le suivi des stocks avec les autorités de santé, identification systématique des fournisseurs tout au long de la chaine de production, en particulier pour les substances actives, et protocoles établis par les sociétés savantes en cas de pénurie.
Axe 2 : Encadrer les appels d’offre hospitaliers et les conditions économiques de ville
Pour améliorer la situation à l’hôpital, le Leem recommande le recours à un appel d’offre multi-attributaire systématique sur les produits les plus essentiels « avec une visibilité sur les volumes, note Thomas Borel, Directeur des affaires scientifiques du Leem. L’enjeu étant d’avoir une alternative réelle en cas de besoin ». Côté ville, l’attention porte plus précisément sur les prix. Les prix très bas de certains médicaments anciens, devenus non rentables, peuvent encourager les exportations parallèles vers des pays voisins. « Pour limiter cette pratique sur les médicaments particulièrement sensibles, il est nécessaire qu’une politique préventive soit menée avec le Comité économique des produits de santé (CEPS) pour assurer un niveau de prix permettant à l’industriel de continuer son exploitation sur le territoire et d’empêcher toute exportation parallèle » continue-t-il.
Axe 3 : Des politiques incitatives pour maintenir et relocaliser la production en Europe
Le Leem souhaite ainsi favoriser la localisation en Europe des sites de production de matières premières actives (60 à 80% sont actuellement fabriquées hors Europe) et des MISS.
Axe 4 : Impliquer les grossistes répartiteurs
Dans un monde globalisé et en flux tendus, il encourage la mise en place d’un outil de pilotage par l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) des stocks disponibles sur les médicaments les plus sensibles pour organiser l’alternative, en cas de tension, le plus tôt possible. Pour être efficace, le système d’information doit être renseigné à la fois par les laboratoires et les grossistes répartiteurs pour avoir une visibilité totale de la supply chain sur le territoire. « Il y a deux ans, un tel outil de pilotage sur les stocks a été mis en place par l’ANSM et le Leem concernant les vaccins » précise Thomas Borel.
Axe 5 : Améliorer le partage d’information jusqu’au dernier kilomètre
En bout de chaîne, le pharmacien a également besoin d’une information précise sur la disponibilité des médicaments. C’est pourquoi le Leem souhaite une utilisation plus efficace du « DP Rupture », un outil intégré au Dossier Pharmaceutique (DP) qui permet pour l’instant de renseigner au comptoir sur la disponibilité (ou non) d’un produit. L’Ordre des pharmaciens travaille à l’améliorer sur plusieurs axes : affiliation des pharmacies à usage intérieur, informations en temps réel des grossistes répartiteurs, demande automatique de dépannage au laboratoire, indicateurs et seuil d’alerte par produit et région pour chaque exploitant.
Axe 6 : Renforcer le pilotage français et européen
Compte tenu du caractère stratégique du dossier, les pénuries de médicaments doivent être gérées au plus haut niveau par les pouvoirs publics, avec une coordination par les ministères de la Santé, de l’Economie et de la Défense. Une harmonisation européenne est également nécessaire sur ces questions pour des laboratoires évoluant dans un monde globalisé avec l’enjeu d’optimiser les volumes. Plusieurs points sont visés selon Thomas Borel: la définition des MITM (qui n’existe qu’en droit français), les plans de gestion des pénuries, les conditionnements primaires de médicaments (pour faciliter leur circulation), ou encore les calendriers vaccinaux (23 calendriers dans 27 pays).