Le développement des plateformes de livraisons instantanées et d’offres alléchantes de livraison en quelques minutes n’est pas sans conséquences sur la sécurité des livreurs. Multiplication des accidents, développement des livraisons en scooters, manifestations de livreurs… Posons-nous la question du modèle à apporter pour faire de la livraison du dernier kilomètre un secteur durable.

Le 10 mai dernier, un rassemblement de livreurs de repas a eu lieu à Paris pour dénoncer les risques pris par les livreurs des plateformes. Cette initiative survient après les récents décès de deux livreurs de repas à Paris et à Rouen. La récente enquête sur les livreurs des plateformes à Paris, réalisée par la Chaire Logistics City et le bureau d’études 6t, nous apprend que 25% des livreurs de ces plateformes ont déjà subi un accident. Dans cette enquête, près de 3 livreurs sur 4 considèrent le risque d’accident élevé lors des livraisons. Ces évènements dramatiques ne sont pourtant pas les premiers et ne sont pas exclusifs à la France.

En Belgique, la coopérative de travailleurs autonomes Smart estime que le risque d’accident d’un livreur de plateforme est 15 fois plus élevé que dans d’autres métiers. Les raisons invoquées sont la vitesse, mais aussi la faible rémunération incitant le livreur à effectuer sa tâche en un temps le plus réduit possible.

La Chine ne fait pas exception

Cette situation problématique est aussi analysée dans les pays asiatiques. Ainsi, en Chine, les plateformes de livraison Meituan et Ele.me sont critiquées pour leur absence de réaction face au nombre d’accidents subis par les livreurs de repas. A Shanghai, tous les 2,5 jours , un livreur trouve la mort lors d’une livraison à domicile instantanée. Les articles de presse chinois qui font état de cette situation préoccupante mentionne un seul responsable : la rapidité de la livraison. Le même article faisant état de ce bilan macabre mentionnait que, dans un rayon de 3km, la durée de livraison était de 60 minutes en 2016, 38 minutes en 2018 et seulement 10 minutes en 2019. Pour parvenir à respecter ces engagements, les livreurs prennent alors tous les risques.

Pourtant, dès 2017, la police chinoise avait imposé aux plateformes de prendre des mesures pour améliorer la sécurité. Pendant un temps, les retards de livraison des livreurs n’impactaient pas leur notation globale mais manifestement, ces mesures sont restées très partielles.

Le quick commerce : un risque accru d’accidents

Malgré cette situation, de nouveaux modèles de plateformes de « quick commerce » apparaissent depuis quelques semaines à Paris et bientôt dans les grandes métropoles régionales, proposant un assortiment de produits d’épicerie livrés en seulement 10 ou 15 minutes. Ces plateformes se développent autour d’entrepôts de proximité, des « dark stores », de 200 ou 300 m². Les produits sont rangés dans des étagères comme dans un magasin. Si on considère un temps de préparation de la commande de seulement 5 minutes, ce qui constitue déjà un exploit, il ne reste alors au livreur que 5 à 10 minutes pour effectuer la livraison au client final.

Il n’est alors pas surprenant que, comme cela a été expliqué dans un récent article, 81% de ces livraisons instantanées soient réalisées à scooter.

Ne pas confondre transporteurs et plateformes

Si la cause de cette accidentogénie excessive est bien comprise, nous devons toutefois faire la différence entre une entreprise employant des salariés et les plateformes d’intermédiation. Un transporteur employant des salariés met naturellement en place des formations, des règles de sécurité, des échelons de contrôle intermédiaires, des tableaux de bord, des instances sociales. Même si les engagements pris avec les clients sont parfois contraints, la limite de prise de risque inconsidérée du livreur n’est pas franchie. Les étapes de contrôle et de formation sont là pour limiter au maximum les risques encourus. Mieux vaut une livraison en retard qu’un accident. Les applications informatiques permettent d’ailleurs d’informer le livreur des éventuels aléas. A contrario, les plateformes sont déresponsabilisées et fonctionnent sans échelons intermédiaires. Les livreurs indépendants sont alors livrés à eux-mêmes. Rémunérés à la tâche et notés, ils sont incités à prendre quotidiennement des risques inhérents au mode de fonctionnement de ces opérations.

L’évolution de la consommation vers la rapidité de la livraison et le triste bilan des accidents de livreurs de plus en plus fréquents préfigurent des évolutions réglementaires nécessaires afin de mieux encadrer les pratiques et la responsabilisation des plateformes.

Sources :

https://www.lvmt.fr/wp-content/uploads/2021/04/Livreurs-2021.pdf
https://www.rtbf.be/info/dossier/investigation/detail_investigation-sur-la-livraison-de-repas-tu-ne-vas-pas-dans-un-pays-en-guerre-mais-t-as-plus-de-chances-de-crever?id=10747337
https://www.campaignasia.com/article/driven-to-death-china-food-delivery-services-criticised-for-pressuring-drivers/463537