Depuis un an, les supports publicitaires des grandes villes attirent l’attention par les noms maintenant bien connus d’applications mobiles proposant en quelques minutes la livraison de courses alimentaires. Pour respecter cette promesse client, ce modèle, le quick commerce, met en œuvre des moyens précis. Mais les impacts sur la ville et les habitants sont souvent oubliés…

Le 24 août dernier, l’émission de France Inter « Le téléphone sonne » était consacrée aux dark stores et aux plateformes de livraisons de repas[1]. Cette émission faisait écho au projet de décret ministériel sur les dark stores visant à considérer comme un commerce ce type d’activité à la condition qu’il dispose d’un simple point de retrait.  Les maires de nombreuses villes ont réagi durant l’été à ce projet de décret en s’y opposant de façon ferme. Leur discours est de défendre le dynamisme du centre-ville, la qualité de vie dans les quartiers et les commerces de proximité. « Les dark stores sont générateurs de pollutions et de nuisances sonores importantes pour les riverains en raison du flux incessant de véhicules. Ils génèrent d’importants troubles à l’ordre public. » mentionne le Maire de Nice, Christian Estrosi. Les maires de nombreuses grandes villes sont alors écoutés et un nouveau projet de décret est annoncé, leur permettant de réglementer leur territoire et dans certains cas, d’interdire ces nouvelles formes de commerce.

Pourtant, le quick commerce, dont le principe est, au départ de ces dark stores, de livrer des courses alimentaires en 10 ou 15 minutes seulement, semble séduisant pour des consommateurs urbains à la recherche de gain de temps et de confort. Essayons de mieux comprendre ce phénomène.

Un terme qui masque différents modèles

Dark stores, dark kitchens, ghost kitchens, ne sont pas tout à fait les mêmes modèles.

Les ghost kitchens, ou cuisines fantômes, sont des cuisines qui ont comme unique fonction de préparer des plats remis à des livreurs. Ce concept connait un énorme succès dans plusieurs pays. Leur nombre est estimé à 7500 en Chine, 1500 aux Etats-Unis et déjà 750 au Royaume-Uni[2]. En France, ce modèle est plus récent, mais se développe rapidement en proche périphérie parisienne, et dans les grandes métropoles, comme Nantes ou Bordeaux. Les dark kitchens correspondent aux mêmes types d’installations mais peuvent aussi accueillir des clients qui viennent retirer leurs commandes à un comptoir de click & collect.

Cette terminologie s’applique aussi aux espaces, qui ont pour fonction de préparer des commandes de produits alimentaires afin de les livrer dans un rayon de proximité.

L’étude publiée en février 2022 par l’APUR[3] répertorie dans Paris intramuros 30 dark ou ghost kitchens et 60 dark stores. Le nombre reste dans l’immédiat modeste mais l’étude met en évidence la concentration de ces nouveaux modèles dans certains quartiers.

Quels impacts sur la livraison du dernier kilomètre ?

Laetitia Dablanc, directrice de recherche à l’Université Gustave Eiffel, insiste, dans l’émission de France Inter, sur l’accidentologie croissante du fait du délai de livraison de plus en plus contraint, mais aussi d’une rémunération globalement en baisse imposant au livreur des rythmes de travail qui l’incitent à prendre des risques. L’étude réalisée sur les livreurs de plateformes de livraison instantanée mesure cette accidentologie. A Paris, plus de 26% des livreurs déclarent avoir déjà eu un accident. Ce taux atteint près de 30% dans l’enquête réalisée à Nantes. Mais ce taux est beaucoup plus important encore pour la part des livreurs qui sont auto-entrepreneurs. Pour cette catégorie de livreurs, en forte croissance, le taux monte à 46,2%.[4]

Autre point étudié, le mode de livraison. Les livraisons rapides ne sont pas consolidées en tournées. Il s’agit donc de mode fragmenté de livraison, effectué en vélo ou en deux-roues motorisé. Si la part de vélos était à l’origine élevée, la vitesse imposée a incité nombre de livreurs à faire le choix de deux-roues motorisés, mode de transport utilisé par près de la moitié des livreurs de livraison instantanée en région parisienne. Les deux-roues motorisés génèrent du bruit, de la pollution et aussi une occupation de la voirie et des trottoirs.

Les modes d’affectation des livraisons imposent au livreur des regroupements devant les entrées de ces dark stores ou dark-ghost kitchens afin de pouvoir immédiatement intervenir à la demande. Ces regroupements sont souvent critiqués, générant une gêne pour les riverains par le bruit qu’ils génèrent.

Ne pas confondre vitesse et précipitation

La vitesse de livraison est une notion propre à chacun. Une livraison en 1 heure ou en 2 heures, est-elle rapide ? Mais l’essentiel en logistique urbaine, c’est de pouvoir regrouper les livraisons afin de constituer des tournées les mieux optimisées possibles. Or pour organiser des tournées, il est nécessaire de disposer de temps. C’est là où le modèle du quick commerce pose problème. Comme dans toute matière, le temps permet d’organiser les choses. Pour la livraison du dernier kilomètre, il s’agit de consolider les flux afin de réduire le nombre de véhicules, quels que soient leurs types, afin qu’ils apportent le maximum d’efficacité et le minimum de gêne. En livrant en 10 minutes, l’organisation précipitée ne laisse aucun choix. Le mode de livraison le plus rapide s’impose. Si la livraison urgente a toujours existé et trouve sa raison d’être dans la livraison de produits de santé ou de pièces détachées, son extension à des courses alimentaires courantes n’apporte alors que des effets négatifs sur la ville, les habitants et les livreurs.


[1] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-telephone-sonne/le-telephone-sonne-du-mercredi-24-aout-2022-1472746

[2] Source Euromonitor

[3] https://www.apur.org/fr/nos-travaux/drive-pietons-dark-kitchens-dark-stores-nouvelles-formes-distribution-alimentaire-paris

[4] Étude sur les livreurs des plateformes de livraison instantanée à Paris et en petite couronne – 6t – Chaire Logistics City – Université Gustave Eiffel – juin 2022.