Résultant de deux années de travaux, l’ADEME a présenté 4 scénarios « types » permettant d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050. Le transport de marchandises, comme les autres secteurs, devra évoluer pour relever ce défi.

Viser la neutralité carbone à horizon 2050 implique des changements qui peuvent sembler flous, voire inconnus, pour la majorité des citoyens et des décideurs. C’est pourquoi l’ADEME a construit 4 scénarios[1] présentant des choix de société différents, mais reposant toutefois sur les mêmes données macroéconomiques démographiques et d’évolution climatique (+2,1 °C en 2100).

L’ADEME rappelle que le secteur des transports est dépendant du pétrole, qui représente plus de 90% de sa consommation d’énergie[2]. Les 5 leviers d’action permettant d’agir sur l’efficacité des transports sont les suivants : la demande de transport, le report modal, le taux de remplissage, l’efficacité carbone et l’intensité carbone. Ce sont sur ces 5 leviers que chaque scénario agira plus ou moins.

Or les conséquences de chaque scénario n’auront pas le même impact sur la logistique urbaine. En effet, alors que des scénarios visent la sobriété, d’autres parient sur l’évolution technologique, sans remettre en cause nos modes de vie. Explorons ensemble comment se positionne la logistique dans chaque scénario.

Génération frugale

Ce scénario part du postulat que les modes de consommation évoluent vers la sobriété par la contrainte. La croissance de la demande énergétique s’interrompt grâce aux évolutions comportementales, sans impliquer de technologies de captage de CO2. C’est donc sur la demande que le scénario « génération frugale » se concentre le plus, avec une diminution du trafic (nombre de kilomètres parcourus sur le territoire) de 45% par rapport à 2015.

L’appareil productif étant fondé en partie sur les low tech, plus robustes et réparables par les citoyens, la demande de produits et de services diminue. Ce scénario implique une production industrielle contractée et un marché réorienté sur le « made in France ».

Deux cibles sont privilégiées pour limiter le recours aux véhicules routiers : les transports massifiés sur longue distance et la livraison du dernier kilomètre par la cyclologistique. Les politiques publiques poussent la transformation de la logistique du dernier kilomètre grâce à « l’interdiction de la « livraison gratuite » en raison des coûts cachés pour la société, les multiples aides aux relocalisations ou pour faciliter la mutualisation de la logistique de proximité. »

Le recours aux transports ferroviaire et fluvial sera également favorisé, en particulier pour les distances supérieures à 500km. Les motorisations diesel/biodiesel et GNV/BioGNV seront privilégiées pour le transport de marchandises en poids-lourds. Les véhicules utilitaires seront quant à eux électrifiés à 45% pour la livraison écologique. Il s’agit de s’appuyer sur les solutions existantes, hors hydrogène, et d’électrifier les courtes distances.

Coopération territoriale

Ce deuxième scénario se base sur une gouvernance partagée et des coopérations territoriales. « Pour atteindre la neutralité carbone, la société mise sur une évolution progressive mais à un rythme soutenu du système économique vers une voie durable alliant sobriété et efficacité. La consommation de biens devient mesurée et responsable, le partage se généralise. » La sobriété de la demande est également requise dans ce scénario, qui considère une diminution de 35% du trafic intérieur de marchandises par rapport à 2015. Pour les transports, c’est le levier du report modal qui est le plus sollicité. En effet, le fret ferroviaire représente une part modale à 25% et la part du fluvial est plus que doublée.

Toujours axé sur la sobriété, ce scénario développe la mobilité active et partagée, développe les déplacements à vélo ou en voitures plus légères et plus sobres en ressources et en énergie. Ainsi, la cyclologistique est développée à son maximum pour la logistique urbaine dans sa zone de pertinence. En complément, les véhicules utilitaires légers électriques prennent le relais quand les distances, les masses unitaires et les remplissages deviennent trop élevés pour la cyclologistique et trop faibles pour un transport plus massifié.

L’usage de l’ensemble des vecteurs disponibles en termes de motorisations est sollicité : diesel, électrique, hydrogène, gaz/biogaz ainsi que les biocarburants dont le développement sera avancé. Le gaz sera utilisé pour le secteur poids-lourds longue distance, qui permet une large autonomie. Dans ce scénario, 46% des flux réalisés en VUL sont électrifiés et une partie des distances est réalisée grâce à l’hydrogène.

Technologies vertes

Dans ce scénario, « c’est le développement technologique qui permet de répondre aux défis environnementaux plutôt que les changements de comportements vers plus de sobriété. » Il prévoit une accélération de la décarbonation des flottes et de l’énergie, notamment en électrifiant les modes de transport et grâce aux biocarburants. La demande étant constante, le trafic intérieur de marchandises est identique à 2015.

Partant du postulat que les tendances de consommation se poursuivent, permises par la décarbonation du mix énergétique, les échanges commerciaux se concentrent dans l’union européenne. Les distances parcourues par les poids-lourds le sont à 13% en hydrogène, à 42% en électricité et à 34% en GNV/BioGNV (le reste en diesel).  Ce scénario ouvre la porte aux autoroutes électriques. Quant aux VUL, intensément utilisés pour le dernier kilomètre, 70% des flux sont électrifiés. Le mode routier reste donc privilégié et le report modal est relativement limité.

Pari réparateur

Il consiste à sauvegarder les modes de vie du début du 21ème siècle, avec toutefois une consommation d’énergie et de matières importante, impactant potentiellement l’environnement. Dans ce scénario, « la société place sa confiance dans la capacité à gérer voire à réparer les systèmes sociaux et écologiques avec plus de ressources matérielles et financières pour conserver un monde vivable. Cet appui exclusif sur les technologies est un pari dans la mesure où certaines d’entre elles ne sont pas matures. » Ainsi, le trafic de marchandises, et notamment de produits manufacturés, augmente de 30% par rapport à 2015.

Les importations jouent un rôle important, les échanges de matières étant favorisés. Le numérique s’immisce dans les moteurs de véhicules et dans la gestion des mobilités, de manière à les rendre plus efficaces. Toutefois, la généralisation des livraisons instantanées fragmente les livraisons.

Ce scénario recourt à une traction électrique dominante, les autres vecteurs énergétiques sont peu sollicités. En effet, il prévoit 65% des flux de poids-lourds électrifiés et 90% des VUL utilisés notamment pour les livraisons à domicile. Les parts modales sont très proches de celles d’aujourd’hui ; toutefois la part des véhicules utilitaires se développera en proportion et impactera la part du report modal : la part du fret ferroviaire et fluvial baisse par rapport à 2015. Ainsi, les véhicules utilitaires représenteront la grande majorité des besoins en matières premières pour les batteries. Le poids de la logistique e-commerce, qui explique l’utilisation en croissance de VUL, sera donc prégnant. La cyclologisitique se développe dans le centre des métropoles et les solutions technologiques telles que les drones ou véhicules autonomes restent un marché de niche.

Quel que soit le scénario ou les leviers activés, la logistique du dernier kilomètre se transformera. Tous les leviers sont liés entre eux et se complètent : il est donc nécessaire d’agir à tous les niveaux pour décarboner le transport de marchandises et notamment le dernier kilomètre.


[1] https://transitions2050.ademe.fr/

[2] https://librairie.ademe.fr/cadic/6531/transitions2050-rapport-compresse.pdf?modal=false – P.173